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Impressions suite à la représentation de la Lecture-récital « Et si Duras aimait Bach »,
de et par Anne Danais et Alice Rosset – La Maison du Chat Bleu – le samedi 9 février 2019. Dès les premières minutes du spectacle Anne et Alice me convoquent à Une cérémonie Alors que je ne venais pas forcément pour cela, j’assiste à un rituel sacré, aussitôt tacitement partagé. J’entre dans la petite salle de « classe-spectacle » Je m’installe et soudainement je suis comme emporté dans un acte de grâce Ce n’est pas une embuscade, non c’est plutôt un partage charnel, sensuel, joyeux parfois et profondément triste aussi... Une manière de célébration. Pour Anne et Alice la musique tout comme le théâtre sont sacrés... Le lieu lui même est sacré – vrai beau théâtre à l’italienne ou « méchante » salle de classe d’une école de campagne - mais aussi sacré est ce qui s’y déroule... Cependant n’est pas sacré qui veut. Sans conteste pour ce qui est de la lecture-récital « Et si Duras aimait Bach » là, la magie opère. L’invisible fil qui relie la scène et la salle se tend lentement indéfiniment à l’extrême mais jamais ne donne le sentiment qu’il va se rompre. Scène et salle agrippées solidement à chaque bout, jouent ensemble en virtuose de cette unique corde en parfaite harmonie. Cette salle de classe – je me plais à l’imaginer - où « l’enfant aux yeux gris » a peut-être été élève... La jeune fille – monitrice de colonie de vacances – je me représente que c’est Alice Rosset, « enrobée » d’un blanc printanier, fait danser ses doigts sur le clavier du piano. Bach n’attendait plus qu’Alice – voltigeuse du clavier, fée, magicienne – suivie de Marguerite et Anne, pour enchanter ce conte à multiples tiroirs, pour fouler les plages de Deauville-Trouville et de la Côte Fleurie, là où le soleil a rendez-vous avec la pluie, et où le sable a rendez-vous avec les larmes. Il pleut infiniment au début il pleut éternellement à la fin. Dernier mot du spectacle. « Il pleut ». Anne et Alice par cette lecture-récital nous permettent de voir et d’entendre bien des finesses. Elles nous tiennent en équilibre sur un fil, celui qu’elles ont tendu entre scène et salle. Alors, nous nous surprenons à faire la traversée tels des funambules aguerris. Avec Alice et Anne nous sommes sans la moindre crainte, sans aucune sensation de vertige et sans la peur d’être emportés à jamais au large, par une vague monstrueuse. Sous la plume de Marguerite, la jeune fille et l’enfant est un conte qui éclaire ses chroniques de l’été 80 (commande du journal Libération en cette année 1980). À son tour la jeune fille s’improvise conteuse. Elle sait comment calmer les enfants avec son histoire fantastique, qui met en scène un jeune garçon David, l'Amiral Système et le requin Ratekétaboum. Duras est également chroniqueuse de l’actualité, elle est photographe de la mer, elle est liberté d’inventer autour de cette réalité des contes des histoires dans lesquelles elle se glisse avec infiniment de délicatesse. Duras – à la manière habile d’une monteuse de cinéma – passe sans transition d'une partie à une autre sans cohérence apparente. Sans annonce particulière, Duras commente avec ardeur les événements de cet été 80 : les Jeux Olympiques de Moscou (amplement boycottés) ; la grève des ouvriers polonais du port de Gdansk. L'autre partie du récit, énigmatique, sensible, sensuelle et incorporelle à la fois, impose en scène deux personnages attachants, « le jeune garçon aux yeux gris » et « la jeune fille » (monitrice de colonie de vacances). Duras – Anne – les observe parfois de loin, parfois de très près jusqu’à les toucher. Elle semble en savoir beaucoup plus long que ce qu’elle nous raconte. On a affaire dans ce spectacle assurément à une œuvre apparentée au journalisme, et qui, bien que située précisément à l’été 80, semble nous informer d’une actualité toute contemporaine. Le texte de « L’Été 80 » nous peint la mer, les vagues troublantes – tant au sens propre qu’au sens figuré – qui envahissent le monde. Duras écrit au rythme de notre vie tellement rapide qui fait que le spectateur se sent captivé au point d’en retenir son souffle. La mer comme décor, filmographiée, pleinement révélée à travers les scènes musicales merveilleusement interprétées par Alice, ce flux continu, savamment harmonieux de Jean-Sébastien Bach tellement actuel, tel un jazz sans date, sans époque qui reste présent autant qu’il fut contemporain au moment de sa création. Été 1980... dans le monde : Le jeudi 14 août à Gdansk – port polonais de la mer Baltique – débute la grève des ouvriers du chantier Lénine. Le 26 août, Mieczysław Jagielski, Vice-premier ministre de Pologne, supplie Lech Walesa – futur président de la Troisième République de Pologne – de signer en catastrophe des accords. De leur coté les évêques, dirigeants de l’Église polonaise appellent inutilement les grévistes « à faire preuve de sagesse et à reprendre le travail ». Le 30 août, Jagielski signe, devant des dizaines de milliers d’ouvriers assemblés, les « Accords de Gdansk ». Une véritable victoire arrachée par les travailleurs de tout le pays. Les jeux olympiques de Moscou. Soixante-six pays invités à participer aux Jeux olympiques de 1980 ne l'ont pas fait pour diverses raisons, y compris le soutien pour le boycott et des raisons économiques. Parce que l'idée de théâtre s'est perdue, Artaud entend la restaurer dans sa fonction sacrée, celle d'une métaphysique aboutissant à l'unité originelle. Peter Brook dans son « Espace vide », imagine non sans une once d’espièglerie le Sacré Théâtre de l’invisible rendu visible. Le théâtre doit dévoiler quelque chose hors du commun au spectateur. Il supplée les rituels sacrés aujourd’hui disparus. L’invisible, qu’on ne peut décrire par les mots, doit évoluer chez le spectateur durant le spectacle, comme s’il était sous l’emprise d’une vérité qui le frappait. Le jeu (ou le travail) consiste à passer en permanence entre un côté transcendantal de l’œuvre, et un autre plus concret, pour que celle-ci reste humaine. Au cours de cette très émouvante Lecture-récital, Duras, Bach, Alice et Anne parviennent à faire ressentir au spectateur cette expérience rare qui le sort de son quotidien, tout en le ramenant en permanence sur terre. Le spectateur peut percevoir le Sacré par moments, mais reste solidement attaché à la Terre à laquelle il appartient. Anne Danais, sans le moindre artifice vocal nous donne à voir, à approcher tous les personnages et les décors de cet « ÉTÉ 80 ». Sa voix se modifie sans qu’elle semble le décider. Cela vient de l’intérieur. Et ses différentes voix intérieures nous touchent profondément, car elles sont sans fard, sans apprêt, livrées brut. En réalité son jeu est très subtil, délicat. Changements de tempo... Silences mesurés... Elle nous promène du pianissimo et fortissimo... Anne swingue sur une large palette que seule une technique solide permet. Il y a enfin une parfaite complicité entre Anne et Alice. Cette complicité déjà rayonnait dans la première aventure de leur duo, du Chopin-Sand... Une main posée très délicatement sur l’épaule d’Alice alors qu’elle joue et nous enchante et aussitôt nous imaginons une complicité semblable entre Marguerite et la jeune fille de la plage. Jean-Louis Gonfalone à Cléré, le 10 février 2019 |
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